Le bon vieux temps, c'est maintenant
Photo: ASO |
J'avais 16 ans, je pense. Mes 6 à 8 montées de la «côte CJPM» étaient mes intervalles en côte préférés. C'est une pente de 700-800 mètres à environ 10% située à 5 minutes de chez moi,
Au pied de la côte habitait un petit gars de 14 ans qui faisait du vélo de route avec le club Acidose Lactique du Saguenay. Il s'appelait Antoine Duchesne et il était pas pire à vélo, de ce qu'on me disait.
Il venait me voir dans mes récupérations de 3 minutes, quand je tournais en rond en bas de la bosse, et il me posait des questions sur l'entraînement. Je lui expliquais que je courrais en vélo de montagne et que c'était un bon training pour ça.
Cet automne-là, il est venu, lui et son vieux Devinci, aux douze heures de vélo de montagne de St-Félicien avec notre gang. On a bien rit, surtout quand il s'est trompé de parcours après 11 heures à se donner le relais dans le noir avec nos lumières achetées chez Canadian tire.
Nous avons donc été disqualifiés et on s'en contre-foutait. On est devenu de très bon amis, j'ai commencé à courir en vélo de route et nous formions même le «trépied gagnant» avec l'illustre Stéphane Cossette qui gagnait tous les sprints de pancarte.
Ne me demandez pas pourquoi ça s'appelait «le trépied gagnant», Antoine se trouvait drôle.
On jouait à Risk jusqu'à 4h du matin tout l'hiver et l'été, on faisait du bike.
Photo: Charles Thibault
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Antoine est devenu bon chez les juniors au niveau canadien, comme bien des juniors québécois. Fort au contre-la-montre, c'était un gars «toujours placé, rarement gagnant» lors des courses sur route. Il se distinguait sur les courses très difficiles mais il y avait quelques gars souvent plus forts que lui.
Finalement, une belle quinzième place au championnat du monde junior de contre-la-montre a confirmé son potentiel et récompensé une super saison qui avait commencé tôt en France au club Wasquehal, en courant contre les meilleurs européens.
Le plus dur restait à faire. On a couru dans la même équipe à sa première année senior. Finalement, l'équipe n'a eu qu'une petite partie de son budget, juste assez pour qu'Antoine fasse quelques bons résultats au Québec et qu'on gagne les Lachines avec notre brute Jean-François Laroche comme leader. C'était le mieux que l'on pouvait faire et on s'est bien amusé avant que les choses sérieuses ne commencent pour lui.
Photo: Luc Hamel
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Ensuite, mon vieux pote a continué sa carrière au niveau qui était le sien. Passant ses printemps en Europe, à se frotter aux meilleurs coureurs U23 au monde, il n'a jamais eu beaucoup de chance sur ces courses.
Je me souviens d'une discussion après un Tour des Flandres Espoirs, où un gars était tombé devant lui alors qu'il était au devant du peloton dans la dernière montée pavée. Je me souviens aussi d'un Liège-Bastogne-Liège Espoirs où Antoine a fait une crevaison au pire moment. Au diable les résultats chez les U23, il en fait lorsque la chance était avec lui, notamment en gagnant deux beaux championnats canadiens dans cette catégorie d'âge.
Photo: Cyclisme Canada
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Finalement, il signe pro chez Spidertech mais, autre coup du sort, l'équipe se dissout deux mois plus tard. Réchappé par la très puissante Bontrager cycling team, il passera une belle année dont je me souviens bien. C'était l'année d'un premier tour de Californie avec les pros, en échappée avec les gars qu'on voyait à la télé il n'y a pas si longtemps. C'était trippant de le voir vivre ça. C'est aussi en septembre de cette année-là qu'il s'est échappé avec le grand Cadel Evans sur le Tour de l'Alberta. C'est cette année-là qu'il a mérité sa place chez Europcar.
De retour en Europe, chez les grands garçons cette fois, les bons moments ont enfin été plus nombreux que les malchances. Il y a tout de même eu de ces épisodes frustrants dans des instants cruciaux, comme lorsqu'un coureur a chuté devant lui l'an dernier dans le final du grand prix de l'E3 alors qu'il était dans la bonne échappée, en route vers un premier top 10 chez les pros.
Finalement, patience, travail et passion lui ont permis, un Tour d'Espagne dans les jambes plus tard, d'aller chercher le niveau suffisant pour faire un résultat comme celui d'en fin de semaine, alors qu'il est sorti chercher le maillot à pois et l'a ensuite défendu contre des gars que nous regardions à la télé en juillet il y a 5-6 ans à peine.
Merci Tony, on a tous passé une super belle fin semaine grâce à toi. Ton positivisme est bien plus fort que tes watts. Je ne t'ai jamais vu découragé plus que 10 minutes et ça, c'est un talent que peu de gens ont.
Quand tu menais l'échappée en descendant les tortueux cols de ce Paris-Nice, on ne voyait pas un petit gars qui a grandit au pied d'une côte de 800m avec un virage à 180 degrés, on voyait un vrai pro du vélo, concentré et à l'aise.
Aujourd'hui, je vois beaucoup moins mon vieux chum qui est sollicité de toute part même quand il est au Québec, mais je m'amuse comme un fou à mettre sa page facebook à jour pour informer ses fans lorsqu'il est sur le vélo. Bien des gens se demandent d'où il sort. Ceux qui le connaissent depuis longtemps savent pourquoi il réussit aussi bien maintenant.
On s'était toujours dit que quand nous serions des maîtres et que nous aurions des maisons, j'aurais un garage avec un divan et on écouterait les courses de bike en prenant une bonne bière (ou du vin?) après l'entraînement.
On jaserait du bon vieux temps en se rappelant tous ces road-trips, toutes ces échappées et toutes ces sorties pas d'allure que seule la jeunesse nous pousse à faire. Je ne pensais pas qu'on parlerait de la fois où tu as gagné le maillot à pois sur Paris-Nice, dans les premières années d'une belle grande carrière chez les pros.
On se rappelera de tout ça quand le temps sera venu.
Mais pour l'instant, vas-y à fond Tony. Le bon vieux temps, c'est maintenant que ça se passe.
Photo: TDW Sport
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